LES POLONAIS
« Ami entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines... » Je ne sais pas pourquoi, cette chanson me fait penser à Varsovie.
Pourtant, Dieu m'est témoin que je ne suis point exagérément polakophile. Quand j'organise un week-end international à la maison, je mets les Russes dans la chambre d'amis et les Polonais dans la chambre d'ennemis. C'est vous dire. Mais voici que je regarde le journal d'Antenne 2, et des Polonais de France emmitouflés près d'un brasero chantent leur désespérance, et la chanson monte dans l'air glacé, bien droite, et digne, et simple, et c'est comme une bouffée d'amour qui vous remue l'intérieur.
Un jour que j'occupais mon ennui à compter les communistes place du Colonel-Fabien, je fus témoin d'un accident de la rue relativement banal, quoique franco-polonais. Sous mes yeux moyennement stupéfaits, un taxi renversa un ouvrier. Le taxi était con et l'ouvrier polonais. Le premier s'enfuit, laissant le second se vider lentement de ses viscères à même le bitume. Georges Marchait par là, maladroitement grimé en cadre moyen, arborant un air absent sur sa tronche de sac-poubelle non consigné.
— Auriez-vous l'amabilité de m'aider à relever cet homme à l'agonie? m'enquis-je. Un taxi est passé. Et cet homme était dessous, comme un Polonais.
— le pense qu'il s'agit là d'une affaire purement intérieure, qui ne concerne que la Pologne, dit Georges. Nous n'avons pas à nous mêler des affaires purement intérieures à la Pologne. La Pologne est seule maîtresse de son destin.
— Ça, c'est vrai, ça, renchérirent la mère Denis, le père Mauroy et la France entière qui passaient par là. La France, fidèle à ses principes sacrés de non-ingérence dans les affaires concernant exclusivement ceux qui sont concernés, n'a pas à intervenir. Elle n'interviendra que lorsque le moment sera venu, c'est-à-dire jamais, car on n'a pas les couilles pour.
A part ça, il ne faut pas dramatiser. Si j'en crois la dépêche AFP qu'on m'apporte à l'instant, les conversations russo-polonaises devraient incessamment déboucher sur un accord. « Nos entretiens se sont déroulés sur un pied d'égalité totale », a notamment déclaré M. Gromyko, ministre des Affaires étrangères de l'Union soviétique, à l'issue de son entretien avec son homologue polonais, M. Petit-Myko.